Un canard nommé kriaxera
« Canard criard » en français, « kriaxera » en basque, « cridassé » en gascon. Ce volatile local et rustique a bien failli disparaître avant de renaître sous l’impulsion d’une poignée de passionnés. Il fait le bonheur des gourmets et des tables étoilées.
Un corps et une tête allongés, de grands yeux, un large bec de couleur jaune orangé à teinte verdâtre. Tel est le canard kriaxera, digne héritier du canard colvert sauvage, domestiqué par les Gallo-Romains.
Reconnaissable à ses cris bruyants
» Abondantes dans les basses-cours traditionnelles du Sud-Ouest, à partir du XIXe siècle, certaines variétés de canards ont fait l’objet d’une sélection poussée. Dans les années 1970, la variété locale commune a été délaissée au profit de ces souches sélectionnées plus lourdes, qui ont ouvert la voie à une production industrialisée de canards gras. La variété commune, reconnaissable à ses cris bruyants, se distinguait des races étrangères silencieuses. Elle prit le nom de criard, en basque kriaxera ou karrankaria « , indique le conservatoire des races d’Aquitaine.
Reproducteurs de races rustiques
« Dans tout le Sud-Ouest, au cours des siècles, les paysans les auraient sélectionnés à leur façon, allant jusqu’à leur donner un nom : canard criard en français, kriaxera en basque et cridassé en gascon, » abonde Florence Lataillade, cogérante du couvoir de la Bidouze, situé à Bidache, seul à élever des reproducteurs de races rustiques. Cette production à taille humaine fait naître 5 000 à 6 000 canetons par semaine.
Un bipède jamais modifié génétiquement
« Mon beau-père possédait un petit effectif de canards kriaxera. Certains clients nous ont demandé de les remettre à l’ordre du jour », précise l’éleveuse. En août 2021, lors d’un épisode de grippe aviaire, ses 1 600 canards de race Kriaxera et Rouen-Landais sont euthanasiés. Les oiseaux ne présentaient pourtant « aucun signe clinique » de la maladie en dépit de la détection du virus H5N8 dans l’élevage.
Promouvoir la race officielle
« Ce canard n’a jamais été génétiquement modifié, ce qui peut expliquer sa résistance aux épidémies. » L’activité reprend en 2022, grâce aux œufs confiés à la station expérimentale Inrae de Benquet dans les Landes, spécialisée dans l’étude de l’oie et la recherche sur la production de foie gras sans gavage des palmipèdes.
Depuis, un collectif d’éleveurs, accouveurs et transformateurs s’est constitué en association pour participer à sauvegarder, protéger, conserver, caractériser, défendre et promouvoir la race officielle kriaxera-cridassère, avec ses caractéristiques rustiques, valoriser l’élevage à vocation économique, du canard de race pure et/ou son mulard. À Bidache, les demandes affluent du Pays basque, des Landes, du Béarn et partout en France.
Le goût du terroir dans l’assiette
Les qualités du volatile intéressent les producteurs, à l’image de Patrick Dagorret (1), installé sur les communes d’Irissarry et Hélette. « La crise de la grippe aviaire fut pour nous un choc et une remise en question sur notre manière de travailler. Nous avons décidé de continuer à élever des canards, tout en changeant de race dans des conditions plus optimales ! » souligne-t-il. Sur son exploitation, la cane kriaxera est élevée par groupes de 400 individus, en plein air sur une superficie de 15 000 m².
« Elles broutent l’herbe pour y trouver tous les éléments nutritifs dont elles ont besoin pour se développer. Leur alimentation est complétée par des céréales (maïs, blé, soja, sans OGM) achetées dans une minoterie près de chez nous. »
Un produit d’exception
Il pointe leur qualité gustative : « La cane kriaxera apporte un goût dans l’assiette, celui du terroir ! » Ce terroir est mis en avant par Florence Lataillade. « Nos canetons, grands consommateurs d’herbe, emmagasinent tout un éventail de saveurs. » Elle pointe la qualité des foies et confits. « Leur conformation est très intéressante : finesse de l’ossature, muscles très développés et enrobage de graisse minimum. » Ce produit d’exception attire les connaisseurs, tout comme les chefs étoilés. Si les mâles sont privilégiés pour la production de foie gras et confits, la cane kriaxera serait idéale pour des cuissons rôties, entière au four, en filet. Avis aux amateurs.
(1) https://www.talents-gourmands.fr/patrick-dagorret